• Pénurie de pétrole et relocalisation : la "période spéciale" à Cuba

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    Pénurie de pétrole et relocalisation : la "période spéciale" à Cuba à partir de 1990


    Je relaie ci-dessous deux articles concernant ce que les cubains appellent la « période spéciale » : Cuba : agriculture et relocalisation de l'économie et L'énergie de la communauté : comment Cuba a survécu au peak oil. Ces articles sont à mettre en parallèle avec textes de Dmitry Orlov sur l'effondrement et ses pratiques.

    Comme le dit Daniel Hofnung dans le premier article : «  l’exemple cubain est sans doute le seul exemple de transformation à l’échelle d’un pays d’une agriculture intensive et productiviste en agriculture extensive et biologique et d’une relocalisation de l’économie » 

    Il s'agit donc d'un exemple concret d'une tentative de réorganisation totale de l'économie d'un pays, qui suite à l'effondrement du bloc soviétique, a perdu la moitié de sa source d'approvisionnement en pétrole, et plus de la moitié de son approvisionnement alimentaire et de ses débouchés commerciaux.

    Quelque soit votre opinion à propos de Cuba, mettez là de côté. Il serait vraiment dommage de se priver d'apprendre du seul exemple concret dont nous ayons connaissance, d'autant plus, qu'il s'agit d'une réorganisation dictée par l'urgence, sous la « contrainte » des événements, et non d'une volonté délibérée de changer de pratique.

    D'ici quelques années, pour d'autres raisons et dans un environnement politico-socio-culturel très différent, nous serons confrontés, du moins la plupart d'entre nous à un moment ou un autre, à une situation similaire, c'est à dire contraints par les événements, et donc dans l'urgence, de trouver d'autres moyens d'assurer nos besoins vitaux que ceux dont nous avons l'habitude.

    La situation ne sera pas identique chez nous. Nous devrons faire en fonction de notre situation propre. Toutefois ce sont des intiatives allant dans le sens de celles mises en oeuvre à Cuba qui auront des chances de fonctionner. C'est donc intéressant et ça pourra nous servir.

    Si j'avais avoir la certitude que nous soyons capables dans notre société, d'œuvrer comme les cubains, avec un minimum de sens et d'esprit collectif pour s'en sortir, je ne serais pas aussi inquiète concernant les temps à venir. 

    L'effondrement est un sujet d'actualité pour un moment, donc à suivre ...

     

    Crise du système mondial

    CUBA : agriculture biologique et relocalisation de l'économie

    (article source Le Grand Soir)

    Daniel HOFNUNG - 28 mars 2008 - 


    (...) l’exemple cubain est sans doute le seul exemple de transformation à l’échelle d’un pays d’une agriculture intensive et productiviste en agriculture extensive et biologique et d’une relocalisation de l’économie (...)

    Lors de la cessation de l'aide soviétique à partir de la chute du bloc soviétique, après 1989, et surtout en 1990 et 1991 (année où moins de la moitié du pétrole soviétique a été livré) Cuba s'est retrouvé dans une situation catastrophique au niveau alimentaire. La production agricole à Cuba était organisée sur le modèle de l'agriculture productiviste, avec une culture intensive dans des grandes fermes d'Etat, basée sur un pétrole importé à 98 % du bloc soviétique et sur l'usage massif d'insecticides et d'engrais chimiques importés. C'était une agriculture orientée vers l'exportation de de quelques denrées (agrumes, tabac, sucre), mais qui ne subvenait pas aux besoins de la population: 66% des denrées étaient importées du bloc soviétique.(1). Ce modèle ressemble en fait au modèle qu’instaure le système néolibéral actuel : produire pour le marché et l’exportation et non pour satisfaire les besoins de la population

    Comment faire lorsque soudain tout cela disparaît ?

    C’est le problème que Cuba a du résoudre pendant la « période spéciale », période de grave crise qui a suivi la chute de l’URSS.

    Il n’y avait presque plus d’engrais chimiques ou de pesticides, moitié moins de carburant, les exportations et avec elles les importations ont chuté. La ration alimentaire individuelle a baissé de 20 % au niveau des calories et de 27 % au niveau des protéines, le cubain moyen a perdu 15 kg, et des milliers de ruraux sans ressources sont partis vers les villes dans l’espoir d’un avenir meilleur. (1)

    Et par nécessité, Cuba a décidé de s’orienter vers les vieilles méthodes : agriculture biologique, traction animale, amendement naturel des sols, horticulture de proximité (puisque les transports manquaient)... Les fermes d’Etat productivistes ont été en 1993 à 80 % transformées en coopératives produisant pour fournir en aliments les institutions d’Etat (hôpitaux, écoles, jardins d’enfants) mais dont le reliquat de production pouvait être vendu librement. En 1994 étaient créés les marchés paysans (1). L’agriculture de proximité était développée, par la distribution de centaines de terrains vacants à qui voulait les cultiver, et par l’incitation à cultiver partout où l’on pouvait : dans les patios, sur les terrasses des immeubles – dans des pots, des containers ou des pneus, des coopératives horticoles urbaines étaient crées, de même qu’un réseau des boutiques de graines et d’outillage où des consultants donnaient des conseils aux utilisateurs (2).

    Un Institut de recherche était créé, pour travailler sur le vermicompostage, les bio-formulations, la protection biologique des sols. 280 centres de production de pesticides et produits biologiques étaient créés (2-4)

    Ensuite, il est apparu que le choix qui avait été fait sous la contrainte était un bon choix pour l’avenir et pour le développement durable : la décision a été prise de généraliser l’agriculture biologique pour l’alimentation de la population. En 1996, un décret autorisait pour la Havane la seule agriculture biologique pour la production de nourriture (2), et l’agriculture dans l’enceinte de la ville (qui comprend plusieurs municipalités semi-urbanisées) de la Havane était à même de fournir en fruits et légumes biologiques 50 % de la population, le reste étant assuré par les   coopératives de la province de la Havane. Dans les autres localités, l’agriculture urbaine couvre en aliments biologiques de 80 à 100 % des besoins, et l’objectif de fournir 300 grammes de légumes frais par jour à chacun est maintenant atteint (3, 1 et 4). Reste le problème de la viande, des laitages et des œufs : les réformes dans ce domaine ont été moins importantes et une pénurie subsiste, la production, sauf pour les oeufs, avait en 2004 peu dépassé celle du moment de la crise (1994). D’autres voies sont aujourd’hui envisagées, comme l’élevage de lapins en agriculture urbaine (4).

    Une autre action est le développement de la culture des plantes médicinales, depuis 1992, pour pallier au manque de médicaments. Aujourd’hui, 13 fermes provinciales et 136 fermes municipales produisent 1.000 tonnes de plantes et herbes par an.

    Les résultats de cette politique sont énormes : réduction de la contamination des sols, de l’air et de l’eau par les pesticides et les engrais chimiques, diversification des productions et de l’alimentation, recyclage des déchets, réduction au minimum des coûts de transport, sécurité alimentaire, baisse de la pollution, développement de l’emploi...

    Qu’en est-il aujourd’hui ?

    Maintenant, 20 % de la surface cultivée à Cuba est protégée par les méthodes biologiques : ceci concerne essentiellement l’horticulture. La majorité des cultures de fruits et d’agrumes est gérée en agriculture biologique, et celles-ci sont testées pour la canne à sucre, le café, le cacao, la noix de coco, l’ananas et la mangue.

    Les bananes posent encore problème, et des traitements chimiques sont encore utilisés. Par contre la grande culture d’exportation (tabac...) reste productiviste, avec OGM, traitements et engrais chimiques (témoignage de Jean-Claude Lefort, ancien député d’Ivry, fondateur du groupe ATTAC à l’assemblée nationale, de retour de Cuba).

    La protection biologique intégrée est utilisée sur 27 cultures pour contrôler un total de 74 insectes.

    Lors d’un séjour récent à Cuba , j’ai pu avoir un aperçu de  l’horticulture biologique et me rendre dans une coopérative horticole urbaine à la Lisa (quartier périphérique la Havane, où seulement 50% de la surface est urbanisée). J’ai vu d’autres exploitations le long d’une grande rue du centre (dont une portait un panneau « lombricultura »).

    Tout ce que nous mangions était  bio, tout comme ce que consomme la population.

    Les coopératives « bio » des quartiers périphériques vendent sur le marché  ou livrent des petits points de vente situés près des habitations dans des cités. (cf. photos). Ces coopératives partagent leurs bénéfices pour la production. Elles fournissent les institutions locales : sous une forme volontaire, parmi les coopérateurs, des paysans donnent gratis une partie de leur production aux jardins d’enfants, écoles, polyclinique. Les revenus des coopérateurs n’en sont pas moins nettement plus élevés que les salaires moyens.

    Il existe aussi des cultures en bas des immeubles (par les habitants de rez de chaussée qui souhaitent le faire)  (cf. photo dans une cité visitée) ou sur les toitures-terrasses.

    Enfin, il existe des points de vente dans la Ville, en particulier dans le centre, livrés par des coopératives plus grandes situées à plus grande distance mais dans la province de la Havane. Pour ce type de coopératives , l’Etat fourni des crédits pour l’outil de production mais elles fournissent les denrées distribuées aux institutions (écoles, hôpitaux), le reste étant vendu au public.

    On a donc à la Havane un système pyramidal, basé sur la proximité, où chaque niveau est fourni localement, quand c’est possible, les niveaux supérieurs étant fournis toujours localement, mais à plus grande distance, par des exploitations plus importantes.

    Ce système est-il généralisable et survivra-t-il à Cuba ?

    Les circonstances qui lui ont donné naissance sont particulières : embargo, coupure par rapport au  marché mondial. On peut se demander si, en cas d’ouverture totale du commerce – prônée par l’OMC –, l’agriculture biologique cubaine pourrait résister à la concurrence d’aliments importés non biologiques et si elle ne connaîtrait pas le sort des multiples agricultures africaines ruinées par le lait ou les poulets européens subventionnés, ou celui des producteurs mexicains, ruinés par le maïs ou les haricots état-uniens subventionnés.

    D’où l’importance de lutter contre les règles de libre échange, qui ne sont que les règles de liberté des plus puissants d’anéantir les plus faibles, et d’obtenir le droit pour les pays moins « développés » de protéger leur économie.

    Il n’en reste pas moins que l’exemple cubain est sans doute le seul exemple de transformation à l’échelle d’un pays d’une agriculture intensive et productiviste en agriculture extensive et biologique et d’une relocalisation de l’économie, largement permise par la propriété publique de la plupart des terres.

    Ainsi, l’exemple cubain est peut être une voie que par nécessité aussi, d’autres devront suivre lorsque les crises de l’énergie et de l’économie mondiale s’approfondiront.

    Et Cuba est sans doute un pionnier, que certains imitent déjà en Amérique Latine, où l’exemple agricole cubain commence à se diffuser, avec par exemple la naissance de l’agriculture urbaine à Caracas.

     

    Daniel Hofnung

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    Références :


    1. rural-urban migration and the stabization of cuban agriculture, Lisa Renolds Wolfe, Global Exchange/Food First
      http://www.foodfirst.org/cuba/cubaruralurban.html
    2. « organic by necessity »
      http://www.tve.org/ho/doc.cfm?aid=1399&lang=English
    3. « comment Cuba a survécu au peak oil »
      l’énergie de la communauté, par Megan Quin, from the Wilderness
      http://vdedaj.club.fr/spip/article.php3?id_article=301
    4. http://www.theholmteam.ca/student.tour.html

    En complément voir aussi dossier écologie/développement durable à Cuba : http://vdedaj.club.fr/spip/motcletout.php?id_mot=21

     

    Crise du système mondial

    L’énergie de la communauté : Comment Cuba a survécu au peak oil

    (article source Cuba Solidarity Project)

    par QUINN Megan - 5 mars 2006

    Traduction "à Cuba, on n’a pas de pétrole, mais on a la Révolution" par CSP Diffusion autorisée et même encouragée Merci de mentionner les sources (de pétrole)

    * * * *

    FromTheWilderness.com 26 février 2006.

    La Havane, Cuba.

    A l’Organiponico d’Alamar, un projet agricole communautaire, un collectif de travailleurs gère une grande ferme urbaine, un marché et un restaurant. Les outils manuels et la main d’œuvre ont replacé les machines consommatrices de pétrole. Les engrais sont produits par des vers de terre et le compostage. L’eau est économisée par un système irrigation au goutte-à-goutte et la communauté est approvisionnée par toute une variétés de produits sains.

    Dans d’autres communautés à la Havane, où la pénurie de terrains se fait sentir pour mener des projets d’une telle ampleur, les habitants ont crée des jardins sur des terrains de parking et ont planté des légumes sur les toits des maisons et dans les patios.

    Depuis le début des années 90, le mouvement d’agriculture urbaine a balayé toute l’île, et la capitale est sur le point d’assurer son autosuffisance alimentaire.

    Un petit groupe d’Australiens a participé à ces efforts et s’est rendu sur l’île en 1993 pour enseigner les techniques de permaculture, un système basé sur l’agriculture durable beaucoup plus économe en termes de consommation d’énergie.

    Cette nécessité d’introduire l’agriculture au cœur des villes a commencé à la chute de l’Union Soviétique et la perte pour Cuba de plus de 50% des importations de pétrole, d’une bonne partie de ses aliments et de 85% de ses échanges économiques. Les transports furent paralysés, la faim fit son apparition et le cubain moyen perdit environ 15 kgs. (30 livres - ndt)

    « En réalité, lorsque tout a commencé, ce fut par nécessité. Les gens ont commencé à cultiver des légumes là où ils pouvaient » explique un guide à l’équipe venue tourner un documentaire en 2004 pour montrer comment Cuba avait survécu à la pénurie de pétrole.

    Cette équipe était composée, entre autres, de membres de The Community Solution (la Solution Communautaire), une ONG basée à Yellow Springs, Ohio, qui dispense des formations sur le pic pétrolier (peak oil) - le moment où la production mondiale de pétrole entamera son irréversible déclin. Certains analystes pensent que le phénomène pourrait se produire dans les dix prochaines années, ce qui donnerait à Cuba le statut d’un modèle à suivre.

    « Nous voulions découvrir ce qu’il y avait chez le peuple cubain et la culture cubaine qui leur permettait de survire en ces temps si difficiles », dit Pat Murphy, directeur exécutif de Community Solution. « Cuba a beaucoup à nous montrer sur la manière de gérer la crise énergétique. »

    La pénurie de pétrole n’a pas transformé uniquement l’agriculture cubaine. Le pays s’est aussi tourné vers de petites unités d’énergies renouvelables et a développé un système de transports publics économe, tout en préservant son système de santé par une politique de prévention et l’application de solutions locales qui permet d’économiser les faibles ressources.

    L’ époque qui a suivi la chute de l’Union Soviétique est connue à Cuba comme la Période Spéciale. Cuba perdit 80% de ses marchés d’exportation et ses importations chutèrent de 80%. Le PNB chuta de plus d’un tiers.

    « Essayez d’imaginer un avion qui perdrait soudainement ses réacteurs. Ce fut réellement un crash, » raconte Jorge Mario, un économiste cubain. Un crash qui plongea Cuba dans un état de choc. Les coupures de courant étaient fréquentes, jusqu’à 16 heures par jour. L’apport calorique journalier des cubains chuta d’un tiers.

    Selon un rapport sur Cuba rédigé par Oxfam, une ONG internationale d’aide humanitaire, « dans les villes, les bus ne circulaient plus, les générateurs ne produisaient plus d’électricité, les usines ne tournaient plus. Pour de nombreux Cubains, pour ne pas dire la plupart, l’occupation principale quotidienne consistait à trouver assez à manger. »

    En partie due à l’embargo persistant des Etats-Unis, mais aussi à la perte des marchés extérieurs, Cuba ne pouvait plus importer suffisamment de nourriture. De plus, sans alternative devant leur agriculture hautement mécanisée et consommatrice d’énergie, le production agricole chuta de manière brutale.

    Les Cubains ont donc commencé, par nécessité, à faire pousser des légumes organiques, à développer des pesticides et fertilisants biologiques de substitution aux produits dérivés du pétrole, et ils ont aussi entrepris de varier leur régime alimentaire. Puisqu’ils ne pouvaient plus faire rouler leurs vieilles voitures, ils se sont mis à marcher, à faire du vélo, à prendre le bus, à faire du covoiturage.

    « Il y a une infinité de petites solutions » dit Roberto Sanchez de la Fondation pour la Nature et l’Humanité à Cuba. « Les crises ou le changement ou des problèmes peuvent déclencher ces solutions qui sont principalement des mesures d’adaptation. Nous nous adaptons. »

     

    Une nouvelle révolution agricole

    Les cubains sont aussi en train de remplacer leurs machines agricoles par la traction animale, et les jardins installés en milieu urbain réduisent les transports. On estime aujourd’hui que 50% des légumes consommés à la Havane sont produits à l’intérieur de la ville, tandis que les autres villes et villages cubains assurent entre 80 et 100% de leurs besoins.

    En s’orientant vers le jardinage, les particuliers et les organisations de quartier ont pris l’initiative de faire l’inventaire des terrains inutilisés, de les nettoyer, et de les cultiver.

    Lorsque les Australiens spécialisés en permaculture sont arrivés à Cuba, ils ont mis en place le premier projet pilote de permaculture grâce à une subvention de 26.000 dollars accordée par le gouvernement cubain.

    De cette initiative est née le centre et projet pilote de permaculture urbaine de la Fondation pour la Nature et l’Humanité à la Havane. « Avec ce projet, les gens du quartier ont pu voir ce qu’il était possible de faire sur les toits et dans les patios » dit Carme Lopez, directrice du centre de permaculture urbaine, debout sur le toit du centre au milieu des vignes, des plantes en pots et des casiers à composte fabriqués à partir de pneus.

    Depuis, le mouvement se répand rapidement à travers les quartiers de la Havane. Jusqu’à présent, le centre de permaculture urbaine dirigée par Lopez a formé plus de 400 personnes du quartier à la permaculture et distribue une publication mensuelle, « El permacultor ». « Non seulement la communauté a découvert la permaculture » dit Lopez, « mais nous avons aussi appris des choses sur la communauté, en donnant en coup de main partout où cela s’avérait nécessaire. »

    Un étudiant en permaculture, Nelson Aguila, ingénieur reconverti à l’agriculture, produit des aliments pour son quartier dans son jardin installé sur le toit. Sur à peine quelques dizaines de mètre carrés, il élève des lapins, de poules et cultive de nombreux gros pots de plantes. Circulant en liberté, on trouve des gerbils ( une bestiole ? - note ignare du traducteur) qui consomment les déchets des lapins et sont à leur tour une source importante de protéines. « Les choses changent, » dit Sanchez. « C’est une économie locale. Ailleurs, les gens ne connaissent pas leurs voisins. Ils ne connaissent pas leur nom. Les gens ne se disent pas bonjour. Ici, c’est différent. »

    Depuis la transition d’une agriculture intensive à base de pétrochimie à une culture et jardinage organique, Cuba consomme désormais 21 fois moins de pesticides qu’avant la Période Spéciale. Ils ont réussi à produire à grande échelle des pesticides et des fertilisants biologiques, et en exportent une partie vers d’autres pays d’Amérique latine.

    Bien que la transition vers une production organique et la traction animale fut une obligation, les Cubains y trouvent désormais des avantages. « Un des bons côtés de la crise fut le retour à la traction animale » dit Miguel Coyula, un spécialiste du développement communautaire. « Non seulement nous économisons du pétrole, mais en plus (les boeufs) ne tassent pas le sol comme le ferait un tracteur, et leurs sabots retournent la terre. »

    « L’agriculture cubaine, conventionnelle, la « révolution verte », n’a jamais réussi à alimenter le peuple » dit Sanchez. « Les rendements étaient importants, mais l’agriculture était orientée vers la culture de plantations. Nous exportions des citrons, du tabac, du sucre et nous importions les produits de base. Ainsi, le système, même dans ses meilleurs jours, n’a jamais réussi à répondre aux besoins. »

    Tirant les conclusions de cette expérience en permaculture, Sanchez dit « vous devez suivre les cycles naturels, ainsi vous mettez la nature à votre service, au lieu de travailler contre la nature. Pour travailler contre la nature, il faut dépenser d’énormes quantités d’énergie. »

     

    Solutions énergétiques

    La plupart de l’électricité à Cuba est généré à partir du pétrole importé, et les pénuries ont donc touché pratiquement l’ensemble de la population sur l’île. Pendant des années, les coupures de courant étaient imposées plusieurs fois par semaine. Sans les réfrigérateurs, les aliments pourrissaient. Sans les ventilateurs, la chaleur devenait insoutenable.

    Les solutions à la crise n’étaient pas simples. Sans argent, le pays ne pouvait investir dans une centrale nucléaire ou de nouvelles centrales thermiques conventionnelles, ni même dans l’énergie éolienne ou solaire à grande échelle. Le pays a donc préféré se tourner vers les économies d’énergie et la mise en place de petites structures d’énergies renouvelables.

    Ecosolar et Cuba Solar sont deux organisations pionnières en matière d’énergies renouvelables. Elles assistent au développement de marchés d’énergie renouvelables, commercialisent et installent des systèmes, mènent des recherches, publient des bulletins d’information, et effectuent des études pour économiser l’énergie auprès des gros consommateurs.

    Ecosol Solar a installé 1,2 mégawatts de photovoltaïques solaires aussi bien dans de petits foyers (capacité 200 watts) que dans des entités plus larges (de 15 à 50 kilowatts de capacité). Aux Etats-Unis, 1,2 mégawats seraient suffisants pour alimenter en électricité environ 1000 foyers. Ce nombre est nettement plus élevé à Cuba où le nombre d’appareils ménagers par foyer est moindre et tournent à l’économie. Les maisons sont aussi bien plus petites.

    Environ 60 % des installations d’Ecosol Solar sont destinées à des programmes sociaux de fourniture d’électricité à des foyers, des écoles, des centres médicaux, des centres communautaires dans les campagnes. Elle a récemment installé des panneaux solaires photovoltaïques dans 2 364 écoles primaires en milieu rural où l’acheminement d’électricité par ligne se révélait trop coûteux. De plus, la société développe des modèles compacts de chauffe-eaux qui peuvent être installés à l’extérieur, des pompes alimentées par panneaux solaires et des séchoirs solaires.

    Une visite à « Los Tumbos », une communauté rurale dans les collines au sud-ouest de la Havane, montre les résultats positifs de cette stratégie. Auparavant sans électricité, chaque foyer dispose à présent d’un petit panneau solaire qui alimente une radio et une lampe. Des systèmes plus larges alimentent l’école, l’hôpital, la salle communale, où les habitants de réunissent pour regarder une émission télévisée appelée « Mesa Redonda » ( émission d’analyses/débats sur des questions d’actualités - ndt) . En plus de tenir la population informée, la salle de télévision a aussi l’avantage de rassembler la communauté.

    « Le soleil a alimenté la vie sur terre pendant des millions d’années » dit Bruno Beres, directeur de Cuba Solar. « Ce n’est que lorsque nous (les humains) sommes arrivés que le Soleil n’a plus suffi . Le problème se trouve donc dans nos sociétés, pas dans les ressources d’énergie. »

     

    Transports - Un système de covoiturage

    Les Cubains ont aussi eu à affronter le problème de fournir des transports dans le cadre d’une pénurie d’énergie. Les solutions ont été trouvées par la génie des Cubains, qui citent souvent la phrase « la nécessité est la mère de toutes les inventions. » Avec peu d’argent et peu de pétrole, Cuba réussit à transporter de grandes masses de personnes aux heures de pointe à la Havane. Faisant appel à l’esprit inventif, pratiquement toutes les formes de véhicules, petits ou grands, ont été employés pour faire fonctionner ce système de transport urbain. Les banlieusards se promènent dans des brouettes artisanales, des bus et autres véhicules motorisées ou à traction animale.

    Le véhicule que nous empruntons, appelé « chameau », est une très longue semi-remorque tirée par un camion et qui transporte 300 passagers. On trouve aussi des vélos et des pousse-pousse à deux places à la Havane et, dans les villes plus petites, des carrioles tirées par des chevaux ou des camions.

    On voit des fonctionnaires en uniforme jaune arrêter les véhicules et les camions d’état qui circulent pratiquement à vide dans les rues de la Havane et font embarquer des personnes qui cherchent un moyen de transport. [ note traducteur : les plaques minéralogiques distinctes permettent à ces fonctionnaires de repérer ces véhicules d’état ] Des Chevrolet des années 50 passent en transportant quatre personnes à l’avant et quatre à l’arrière.

    Une charrette tirée par un âne et avec une licence de taxi accrochée aux flancs passe dans les rues. De nombreux camions ont été reconvertis en transport commun simplement en soudant un marche-pied à l’arrière, pour faciliter la montée et la descente des passagers.

     

    Santé et éducation - Priorités nationales

    Bien que Cuba soit un pays pauvre, avec un PIB par habitant par an de seulement 3.000 dollars (plaçant le pays avant-avant dernier dans le classement), l’espérance de vie est la même qu’aux Etats-Unis, et la mortalité infantile est inférieure qu’aux Etats-Unis. Le taux d’alphabétisation est de 97 %, soit le même qu’aux Etats-Unis. [ tant que ça aux US ? doivent pas compter la Maison Blanche - NDT ]. L’éducation et la santé dont gratuites.

    Lorsque les Cubains ont subi leur version du pic pétrolier, ils ont réussi à préserver leur système de santé, ce qui fut un des facteurs qui les ont aidés à survivre. Les Cubains rappellent sans cesse combien ils sont fiers de leur système de santé.

    Avant la Révolution Cubaine de 1959, il y avait un docteur pour 2000 hab. Le taux est actuellement de 1 pour 167. Cuba a aussi une école internationale de médecine et forme des médecins pour d’autre pays pauvres. Chaque année, 20.000 médecins cubains travaillent à l’étranger.

    Depuis 1995, la viande est rare et les légumes sont en abondance. Le régime des Cubains est devenu sain, pauvre en matières grasses, pratiquement végétarien. Leur mode de vie, ponctué de marches à pied et de parcours à vélo, est aussi plus sain. « Avant, les cubains ne mangeaient pas beaucoup de légumes. Le régime de base était composé de riz, haricots et viande de porc » dit Sanchez de la Fondation pour la Nature et la Humanité. « A un certain stade, la nécessité s’est imposée, et maintenant ils sont demandeurs (de légumes). »

    Les médecins et les infirmières vivent au sein de la communauté où ils exercent et sont généralement hébergés au-dessus de la clinique. Dans les zones rurales reculées, des bâtiments de trois étages sont construits, avec le cabinet médical au rez-de-chaussée, et des appartements au premier et second étage, un pour le médecin et un pour l’infirmière.

    Dans les villes, les médecins et infirmières vivent dans le quartier où ils exercent. Ils connaissent les familles et leurs patients et, dans la mesure du possible, ils soignent les gens à domicile. « La médecine est une vocation, pas un métier » s’exclama un médecin de la Havane, pour expliquer sa passion pour son travail. A Cuba, 60 % des médecins sont des femmes.

    L’Education est considérée comme l’activité sociale la plus importante à Cuba. Avant la Révolution, il y avait un enseignant pour 3.000 hab. Aujourd’hui le rapport est de 1 pour 42, avec une moyenne de 1 enseignant pour 16 élèves. Cuba a un taux de diplomés plus élevé que la plupart des pays en voie de développement, et si sa population ne représente que 2 % de la population de l’Amérique latine, 11 % des scientifiques latino-américains sont cubains.

    Dans un effort pour freiner l’exode rurale pendant la période spéciale, l’éducation supérieure fut répartie à travers les provinces, élargissant ainsi les possibilités de formations et renforçant les communautés rurales. Avant la période spéciale, il n’y avait que 3 instituts d’études supérieures à Cuba. Il y en a à présent 50 à travers le pays, dont sept à la Havane.

     

    L’ énergie de la communauté

    En cours de ses déplacements, l’équipe de tournage du documentaire a découvert l’inventivité, la détermination et l’optimisme du peuple cubain, où on entendait souvent la phrase « si, se puede » ou « oui, on peut ».

    Les gens ont parlé des valeurs de la « résistance », démontrant leur détermination à surmonter les obstacles. Et ils ont vécu sous le blocus économique des Etats-Unis depuis le début des années 60, considéré comme l’ultime test de la capacité des Cubains à résister.

    Il y a beaucoup de choses à apprendre chez les Cubains dans les réponses qu’ils ont apportées à la pénurie de pétrole. Le personnel de Community Solution considère ces leçons comme particulièrement importantes pour les pays en voie de développement qui composent 82% de la population mondiale et vivent dans des conditions précaires. Mais les pays développés sont vulnérables aussi aux pénuries d’énergie. Et avec le pic de pétrolier à l’horizon, tous les pays devront d’adapter aux réalités d’un monde aux ressources limitées.

    Devant cette nouvelle réalité, le gouvernement cubain a changé son mot d’ordre vieux de 30 ans « le Socialisme ou la mort » en « un monde meilleur est possible. » Le gouvernement a libéralisé l’agriculture et autorisé les organisations de quartier à cultiver et vendre leurs produits. Le pouvoir de décision a été décentralisé vers la base et les initiatives au niveau local sont encouragées. Il a crée de nouveaux provinces. Il a encouragé le retour vers les fermes et les zones rurales et réorganisé les provinces afin de répondre aux besoins de l’agriculture.

    Selon Community Solution, Cuba a fait ce qu’elle a pu pour survivre, malgré son idéologie d’une économie centralisée. Confrontée à une pénurie de pétrole, l’Amérique prendra-t-elle les mesures indispensables pour sa survie, malgré son idéologie d’individualisme et de consumérisme ? Les Américains se rassembleront-ils, comme l’ont fait les Cubains, dans un esprit de sacrifice et de soutien partagé ?

    « Il y a le changement climatique, le prix du pétrole, la crise de l’énergie » dit Beres de Cuba Solar, faisant la liste des défis auxquels l’humanité doit faire face. « Nous devons être conscients que le monde change et nous devons donc changer notre vision du monde. »

     

    Megan Quinn, Permaculture Activist.

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    Notes :

    Cet article fut publié initialement dans un numéro spécial de "Permaculture Activist" consacré au pic pétrolier, au printemps de 2006 (www.permacultureactivist.net). L’auteur, Megan Quinn est directeur de Community Solution (www.communitysolution.org), un projet de Community Service Inc., une ONG basée à Yellow Springs, Ohio.

    Pour information sur son film documentaire qui sortira bientôt, « L’Energie de la Communauté : comment Cuba a survécu au pic pétrolier », visitez le site ou envoyez un courrier à megan@communitysolution.org..

    Update (27 février) : les deux derniers paragraphes avaient été oubliés par inadvertance dans la première publication et ont été rajoutés.

    www.energybulletin.net/newswire.php ?id=13171
    www.globalpublicmedia.com/articles/657

    COMPLEMENT DE CSP, Consulter le rapport d’OXFAM America, en anglais : Cuba : Going Against the Grain (2001)

     

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